De ce côté-ci du Channel, les Français regardent —comme ils en ont pris l’habitude depuis près d’une année— leur animateur télé-baroudeur préféré du dimanche soir arpenter les quatre coins du globe terrestre, se démener comme quatre pour résoudre des énigmes et découvrir (ou non) plusieurs trésors à la chaîne, en suivant les déductions instructions que souffle péniblement Philippe Gildas aux couple de joueurs. L’animateur télé-baroudeur, c’est Philippe de Dieuleveult. Il doit d’ailleurs être légèrement énervé, car Ph. Gildas s’obstine à le désigner sous le simple patronyme «Dieuleveult», refusant ainsi de lui donner sa particule, mais après tout nous sommes en France... Quant à l’émission en question —vous l’aurez identifiée—, il s’agit de La Chasse aux Trésors (notez bien le s, ajouté après son commencement...)
Pendant ce temps, de l’autre côté du Channel, on rit beaucoup moins. Tandis que nos voisins et néanmoins alliés britanniques découvrent pour la première fois de leur histoire une adaptation made in UK de La Chasse aux Trésors, le Royaume-Uni est exsangue. Son économie industrie (l’Économie d’un pays véritable ne peut reposer que sur son industrie, c’est Colbert qui l’a dit !) est à l’agonie, ce que parvient mal à cacher la victoire militaire en demi-teintes tout juste acquise contre l’Argentine, ou d’ailleurs les vocalises de Bardot à l’Eurovision...
En pleine récession dans un pays où, encore aujourd’hui, seuls les nobles peuvent être propriétaires, avec une femme impitoyable aux commandes pour mener une politique qu’on qualifierait aujourd’hui poliment d’austérité — c’est précisément en 1982 que la BBC est prise pour cible par le gouvernement Thatcher. Pour lui montrer la voie, ce dernier lance cette année-là la télévision à fonds privés avec Channel 4. La nouvelle chaîne doit impérativement trouver des programmes inédits susceptibles d’attirer un public nouveau et ainsi, des vautours de la publicitéannonceurs. Et le nouveau média achète à la Télévision française le droit d’adaptation de l’émission La Chasse aux Trésors.
Mais en lieu et place du brillant divertissement concocté par Jacques Antoine, soumis qu’ils sont à l’austérité, les Britanniques devront se contenter d’une version tout à fait britto-centrique, sans homme rouge, sans aventurier-charmeur virevoltant aux quatre coins du monde, sans course folle sur la côte kenyane ou vers les plateaux andins... Non, outre-Manche, ce sera plutôt Bristol ou l’Essex, les flots grisâtres de la Manche, voire Northumberland et le Sussex... Il n’y aura point de Philippe de Dieuleveult (même si les télespectateurs auront droit aux charmes gallois d’Anneka Rice à la place), moins de kérozène et surtout, il n’y aura pas de treasures. Signe des temps, ll’adaptation britannique s’appellera jusqu’à son terme Treasure Hunt, au singulier.
Le contexte géo-politico-économique du jeu vidéo dont nous devons parler ici ayant été brossé, nous pouvons y relever deux points positifs : 1. pour des raisons qui vous paraissent probablement évidentes, Philippe de Dieuleveult ne travaillait probablement pas pour le MI6 (si vous ne voyez pas pourquoi, continuez à lire...). 2. On doit au Treasure Hunt britannique, enfant légitime de la télévision publique française et du libéralisme thatchérien le plus débridé, une des adaptations vidéo-ludiques les plus brillantes et les plus abouties de notre bien-aimée Chasse aux Trésors —si elle en est la seule... Certes, les scènes d’aventure et d’action dieuleveultesques n’y sont pas —ce qui ne vous surprend plus car, si vous m’avez suivi jusqu’ici, vous le savez, IL N’Y A PAS PHILIPPE DE DIEULEVEULT DANS LA VERSION BRITANNIQUE DE L’ÉMISSION «La Chasse au Trésor»...
Anyways, comme disent nos amis d’Outre-Manche, rendons hommage à Philippe de Dieuleveult, qui est vraisemblablement mort en mission, ainsi qu’à l’émission La Chasse aux Trésors et au jeu intelligent qui en fut tiré. Si le premier fut peut-être un des derniers aventuriers français, les deuxième et troisième sont les produits d’une époque lointaine, pendant laquelle une véritable encyclopédie (écrite par des scientifiques et non par ses lecteurs...), une pile de guides de voyage et un agent secret téléanimateur armé d’un casque à écouteurs suffisaient à accomplir le travail de Google... Oui, c’était une époque pendant laquelle il fallait instruire et divertir pour espionner...
Pour conclure à propos de Philippe de Dieuleveult, on peut dire que sa disparition brutale aura fait de lui une sorte de James Dean hexagonal des projections rotorisées (ai-je précisé que Ph. de Dieuleveult avait effectué son service militaire chez les parachutistes ?). Et j’ose affirmer que sa légendaire tenue fera de lui l’inévitable icône d’un éventuel renouveau de la mode Space Age / Disco en France...
Treasure Hunt, de Macsen Software pour Commodore 64 (1985), l’adaptation made in UK en jeu vidéo de l’émission La Chasse aux trésors, également nommée Treasure Hunt en version made in UK, ici en cassette, en bon état et complet, avec son épais manuel imprimé (également en Anglais s’il fallait le préciser). Note de l’éditeur : attention, la Chasse au Trésor version britannique se déroule exclusivement across the Channel : aussi une bonne connaissance de la géographie et des mythes insulaires sera nécessaire pour pouvoir y jouer... Note de l’éditeur 2 : ne vous attendez pas à des graphismes époustouflants : nous l’avons dit, à l’époque, au Royaume-Uni, c’est l’austérité...
